Le démantèlement de l’Institut de Sûreté Nucléaire serait une erreur inexcusable


par Jean Dubois Brigitte Panah-Izadi - Jeudi 09 Mars 2023


À quoi joue l’exécutif ? La sureté nucléaire n'est-elle pas une priorité absolue et intangible? Or l’actuel décision de démanteler l’Institut de Radio-protection et de Sûreté Nucléaire ( IRSN) proclamée sans aucune préparation lors d’un Conseil de politique nucléaire autour du Président Emmanuel Macron le 3 février 2023 pose un problème majeur de sécurité nucléaire civile.
En effet le rôle de l’IRSN qui centralise et regroupe l’ensemble des données concernant
l’activité nucléaire civile est capital pour maîtriser cette industrie hautement dangereuse.
Son action qui regroupe la sûreté – c'est à dire la surveillance des machines, et la radioprotection et les questions de santé - est un gage de sécurité et de sérieux car il allie rigueur scientifique et technique.
Son efficacité n’est plus à prouver et très récemment encore, c’est bien grâce à son rôle dans le système nucléaire qu’on a repéré précocement les problèmes de corrosion des cuves de réacteurs et qu’on a pu traiter comme une simple opération d’entretien quelque chose qui aurait pu gravement dégénérer.

Cette institution est absolument indispensable dans un état de droit où elle conforte et contribue à faire accepter cette énergie, en la rendant plus fiable. Elle contribue à l'attractivité de notre savoir en matière nucléaire en suscitant l’élaboration de règles de sécurité et en contribuant à leur mise en œuvre.
Et son influence dépasse largement le cadre français ou même celui de l’UE puisque l'IRSN a agi lors des accidents nucléaires aussi bien à Tchernobyl qu’à Fukushima ou encore pour gérer les problèmes posés par les épaves de sous marins nucléaires soviétiques dans la baie de Mourmansk. Elle nous rend crédibles à l'international, et peut ouvrir de nouveaux marchés.

Historique

Si nous sommes parvenus à ce que l’activité nucléaire, si potentiellement dangereuse, soit devenue, en Occident du moins, une des plus sûres, c’est bien à la suite d’un long cheminement qu’il importe de comprendre, loin des références idéologiques d’un simplisme néolibéral.
Le danger inhérent au nucléaire est apparu avec les travaux de Becquerel, puis de Pierre et Marie Curie lors de la découverte de la radioactivité, à la fin du XIX me siècle. Il y eut des dénis, des débats, des drames, puis enfin une vraie maîtrise du phénomène qui débuta pour la radio protection de la santé humaine avec la création de la CIPR (Commission Internationale de Protection Radiologique) en 1950, et un peu plus tard en matière de sûreté des installations, avec tout un processus qui trouva un aboutissement dans la convention de Vienne sur la sûreté nucléaire du 17 juin 1994 passé sous l’égide de l’AIEA (Agence Internationale de l’Énergie Atomique)
C’est un texte qui expose les problèmes fondamentaux et leurs méthodes de solution en les ramenant à des idées simples et claires.

L'idée centrale est la construction d’un savoir global en matière de sécurité – c’est à dire de sûreté et de radioprotection - qui aille des éléments les plus théoriques des mécaniques quantiques, ou ondulatoires, jusqu’au serrage du moindre petit écrou, en passant par la dynamique de corrosion par les radiations d’une cuve de réacteur, et tout cela sans négliger les méthodes de mise en œuvre pratiques.

Conçu pour rassurer et protéger, le schéma du système construit à cet effet est finalement simple et met bien en lumière le rôle de l’Institut :
On commence par définir trois acteurs dont on va organiser la coopération dans le domaine de la sécurité :
Le premier est l’exploitant des INB (Installations Nucléaires de Base). En France, essentiellement l’EDF et partiellement le CEA, mais aussi d’autres unités.
Le deuxième est l’autorité : L’ASN ( Autorité de sûreté Nucléaire) investie du pouvoir de décision et de contrôle.
Enfin le troisième, est l’appui technique, mal nommé ainsi car il est aussi scientifique que technique. C’est l’IRSN.
Leurs fonctions sont décrites ainsi :
L’exploitant est le responsable principal car étant à la source, il est le mieux placé pour repérer questions ou problèmes et agir, puis informer en amont.
A cette fin au sein des installations nucléaires, il est impératif qu'à côté de la structure de production, une autre structure, parallèle surveille et gère la sécurité. La législation française, conforme aux canons de l’AIEA, prévoit aussi qu'à côté de cette surveillance au jour le jour, une mission de constitution d’un véritable savoir en la matière soit mis en place. Elle doit par exemple noter tout événement simplement inhabituel, et à fortiori tout incident ou accident, et se livrer à une étude à son propos. Périodiquement ces réflexions sont rassemblées dans une sorte de carnet de bord.
L’autorité qui réceptionne ces informations doit en tirer les conséquences qui peuvent aller d’une loi nouvelle à la simple diffusion d’un commentaire à d’autres exploitants.
L’appui technique, l’IRSN centralise tout cela, l’élucide et le replace dans un savoir global sur la sécurité, dont vont bénéficier les exploitants, comme l’autorité.
Ce rôle central démontre la nécessité de l'existence autonome de l'IRSN en tant qu’organisme particulier et indépendant.

Une indépendance indispensable pour deux raisons.

Tout d’abord, elle écarte toute soumission, extérieure ou même par autocensure, à des considérations autres que celles de la sécurité, qui peuvent être d’ordre politique, économique ou même culturel.
Dans la catastrophe de Fukushima, la honte de la faute, et la tendance à la dissimuler, propres à la société japonaise, ont joué un rôle particulièrement nocif en retardant de plusieurs jours des mesures urgentes. Enfin, en second lieu l’indépendance permet à une telle institution de chercher dans toutes les directions, même si certaines peuvent sembler à priori peu utiles, car il est maître de ses plans de travail et son action n’est pas uniquement focalisée par des demandes faites en tant qu’expert. C’est ainsi que l’IRSN a pu soulever le problème du radon, ce gaz radioactif naturel que l’on peut rencontrer dans nos habitations et dont l’impact en matière de santé publique est loin d’être négligeable.

Alors pourquoi se défaire de l’IRSN, à l’heure où le gouvernement relance l’activité nucléaire et donc au moment où l’on en a le plus besoin ?

Les arguments d’un néo libéralisme réticent à priori à tout ce qui est service public ne sont pas convainquants et certains pensent que le Gouvernement souhaite ainsi accélérer la construction de nouveaux réacteurs. Mais séparer recherche fondamentale et expertise ponctuelle ne ‘’fluidifierait’’ en rien la procédure de construction des nouveaux réacteurs, mais au contraire compliquerait inutilement la sécurité nucléaire où ces deux domaines sont étroitement interpénétrés, et même si, comme on l’évoque maintenant, on intégrait la recherche fondamentale à l’ASN, elle serait vite réduite à la portion congrue dans un organisme décisionnaire qui, n’a pas vocation à s’en occuper directement.
Par ailleurs, sur le plan de l’’’efficience’’, du souci d’éviter les ‘’lourdeurs des procédures administratives’’ et toutes autres entraves, éléments chers au discours néo libéral, il convient de relever que c’est justement par ses compétences, sa rapidité de réaction et sa liberté d’expression, qui se sont notamment affirmées dans son rapport sur la catastrophe de Tchernobyl, que l’Institut s’est assuré une crédibilité réelle, même auprès des opposants au nucléaire.

Au delà de son action concrète, cette autorité morale peut au contraire jouer un rôle facilitant la gestion et l’acceptabilité de cette énergie, dont quasiment tout le monde admet qu’elle continuera à exister pendant encore au moins quelques décennies.
Se priver de ce rôle serait de toute évidence lourdement contre productif.

Si le gouvernement cherche à diminuer les exigences de la sûreté nucléaire pour favoriser la construction la plus rapide possible des EPR programmés, c'est un des calculs les plus dangereux pour notre pays de ces dernières années.






 

par Jean Dubois Brigitte Panah-Izadi

 

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